Dietrich Bonhoeffer

Avec Dietrich Bonhoeffer,
chercher Dieu en toutes choses

Sans titre (4)
Petite vie de Dietrich Bonhoeffer
Martyr de la résistance allemande et Juste parmi les nations

Pasteur luthérien, théologien et écrivain allemand né le 4 février 1906 à Breslau, sixième d’une famille bourgeoise de huit enfants, il fut l’un des premiers à dénoncer le nazisme et le sort réservé aux juifs dans l’Allemagne d’Hitler.
Très tôt sa grand-mère lui apprend que tout homme digne de ce nom doit savoir se décider pour ce qu’il croît vrai et juste et agir en conséquences. Il saura ainsi très jeune écouter ce qui l’anime intérieurement.
Il décide à 17 ans de devenir théologien et soutient sa thèse sur « la communion des saints » dans laquelle il tente de répondre à la question : comment être croyant dans la vie actuelle ? Cette question sera présente dans toute son œuvre par la suite.
Sa théologie rassemble protestants, catholiques et orthodoxes en la personne du Christ, marquant ainsi la dimension œcuménique et novatrice de sa vocation.
Son expérience pastorale au sein du séminaire de Finkenwalde est décisive et transparaît dans ses ouvrages : « Le prix de la grâce » et « De la vie communautaire ».

Très vite il s’oppose au nazisme, est interdit d’enseignement en université. Il entre dans le réseau qui fomente un attentat contre Hitler, est arrêté en 1943 et emprisonné dans plusieurs camps. Durant sa captivité, il soutient « ses frères en servitude », en totale adéquation avec ce qu’il pense et vit.
Il écrit de nombreux textes recueillis dans l’ouvrage intitulé « Résistance et soumission ». Devenu un homme de la réalité, il s’interroge sur un monde sans Dieu sans jamais remettre en cause le christianisme « au cœur de l’homme » auquel il adhère de tout son être. Il meurt au camp de Flossenbürg, pendu le 9 avril 1945.

Il est déclaré par la suite Juste parmi les nations, plus haute distinction honorifique délivrée par l’État d’Israël à des civils.

Méditation
Apprendre à croire

Il peut paraître surprenant de trouver dans nos méditations de carême, le chemin d’un frère protestant. Peu d’entre nous connaissent Dietrich Bonhoeffer. C’est une figure de laïc à la fois théologien et pasteur, deux termes que l’on associe d’habitude chez nous au sacerdoce. À son ami Jean Lasserre qui lui parlait de devenir un saint, Bonhoeffer avait répondu : « Moi, j’aimerais apprendre à croire ».

La puissance de l’être humain c’est la prière. Dès ta jeunesse, habitue-toi à la prière. Prier, c’est prendre son souffle auprès de Dieu ; prier, c’est donner sa vie à Dieu et la lui consacrer ; prier, c’est se confier à Dieu. Lorsque le soir, tu t’allonges pour t’endormir, joins tes mains, fais silence en toi et demande à Dieu de venir auprès de toi ; ensuite, dis-lui comment tu as passé ta journée, et si tu l’as sanctifiée ou profanée ; dis-lui si tu as passé ta journée avec amour ou avec colère, avec paix ou haine, dans le bien ou dans le mal, dans la pureté ou dans la souillure. Ensuite, prie pour ton âme, afin que Dieu la rende sainte et pure ; puis aie honte du mal que tu as fait et réjouis-toi du bien que tu as fait. Enfin, devant les yeux de Dieu, nomme ceux qui t’aiment, remercie Dieu de ce qu’il t’a donné ta mère et ton père, de ce qu’il te donne des amis qui t’aiment, et prie-le de demeurer auprès de chacun d’eux. Et si un jour tu as quelque chose que tu ne voudrais confier à personne, sache que Dieu voit tout et sait tout : va vers lui, et, de nuit, lorsque tout est calme et endormi, déverse sur lui ton cœur agité et il te donnera le repos. Mon cher enfant, ne l’oublie pas : c’est par la prière que tu deviendras fort.

Etre disciple

Dietrich a cherché toute sa vie ce que signifie être disciple. En 1937, il publie sous ce titre un commentaire du Sermon sur la montagne. C’est l’aboutissement d’une longue réflexion sur la radicalité du message évangélique. Dietrich se situe dans la tradition des grands mouvements de réforme qui, des Pères du désert à saint François d’Assise, n’ont jamais accepté que l’Eglise soit l’adaptation religieuse d’un message évangélique que l’on trouverait trop exigeant. Ceux qui se mettent en marche derrière le Christ doivent découvrir qu’en devenant disciples, ils entrent dans un cheminement qui doit les dépouiller non seulement de leur attachement au monde mais aussi d’eux-mêmes.

Le jour et la nuit, combien longs et désespérants sont-ils, lorsque nous sommes sans Dieu. Mais combien joyeux devient le jour le plus malheureux, lorsque je parviens à y saisir la bonté de Dieu et que je crois que toutes choses doivent concourir au bien de ceux qui aiment Dieu ; et combien sereine et salvatrice devient la nuit la plus profonde, lorsque dans cette nuit je chante et prie Dieu, le Dieu de ma vie. Les promesses de Dieu valent pour chaque jour et pour chaque nuit, et elles les remplissent tous, semaine après semaine, année après année. Il suffit que je les saisisse.

Retrouver la radicalité évangélique

Bonhoeffer dans ses écrits veut aller au-delà d’une piété ordinaire qui ne serait que superficielle pour retrouver la radicalité des évangiles. Il convient peut-être de nous demander si nos langueurs spirituelles, nos lassitudes, notre paresse, notre manque de goût ne provient pas simplement du fait que nous n’avons pas encore consenti à une offrande plus complète de notre personne et de notre vie. Comment pouvons-nous garder l’authenticité de la vie chrétienne ? Bonhoeffer n’hésitera pas à dire : « Seul le croyant est obéissant, et seul celui qui est obéissant croit ». Dans  Le Prix de la Grâce, Dietrich tonne contre l’apathie de ses contemporains, leur abandon à tout effort, leur refus de la contrainte, leur paresse à se réformer.

 

«  La grâce à bon marché, c’est la grâce considérée comme une marchandise à liquider, le pardon au rabais, la consolation au rabais, le sacrement au rabais ; la grâce servant de magasin intarissable à l’Eglise où des mains inconsidérées puisent pour distribuer sans hésitation ni limite ; la grâce non tarifée, la grâce qui ne coûte rien […]. La grâce à bon marché, c’est la grâce que n’accompagne pas l’obéissance, la grâce sans la croix, la grâce abstraction faite de Jésus-Christ vivant et incarné ».

Bonhoeffer ne voulait pas que l’on fasse de l’évangile une sorte d’idéal moral tellement inatteignable qu’on ne fait que l’effleurer sans le toucher vraiment. Jésus n’était pas un rêveur, ni un illuminé. A aucun moment, il n’a semblé dire que la vie chrétienne était réservée pour quelques élus. « Celui qui entend mes paroles et ne les met pas en pratique est comparable à une maison construite sur le sable ». Bonhoeffer s’oppose de toutes ses forces à une sorte de vie chrétienne à deux étages où se trouveraient, d’un côté une élite spirituelle composées des moines, des religieuses, des saints et de l’autre les simples chrétiens qui ne feraient que suivre. Pour lui, faire « concrètement » ce que Jésus demande s’adresse à tous les chrétiens pour autant qu’ils veulent vraiment être les disciples du Maître. A son époque, la question était clairement posée : « veux-tu suivre le Christ ou suivre servilement celui qui s’appelle le Fürher ? ».

« Seigneur, tu m’as vaincu et je me suis laissé vaincre. Tu es devenu trop fort pour moi, et tu as triomphé » (Jr 20,7). Ô Dieu, c’est toi qui as pris l’initiative avec moi. Tu m’as poursuivi de tes assiduités. Tu n’as cessé de croiser ma route, çà et là, brusquement ; tu m’as attiré et envoûté ; tu as rendu mon cœur obéissant et docile ; tu m’as parlé de ton désir ardent et de ton amour éternel, de ta fidélité et de ta force. Lorsque je cherchais de la force, tu m’as fortifié ; lorsque je cherchais un appui, tu m’as soutenu ; lorsque je cherchais le pardon, tu as pardonné ma faute. Je ne l’avais pas voulu, mais tu as triomphé de ma volonté, de ma résistance et de mon cœur ; ô Dieu, tu m’as séduit irrésistiblement, de sorte que je me suis donné à toi. Tu m’as saisi sans que j’en aie conscience et maintenant je ne puis plus me détacher de toi. (…) Impossible de retourner en arrière, la décision engageant ma vie est tombée. Ce n’est pas moi qui ai décidé ; c’est toi qui a décidé. Tu m’as lié à toi, pour le meilleur et pour le pire. Ô Dieu pourquoi es-tu si terriblement proche de nous ?

Témoin dans un monde bouleversé

Bonhoeffer a dû tracer son chemin dans un monde bouleversé. Bien avant les réflexions de Hans Jonas se demandant comment croire après la Shoah, Dietrich fut traversé par la question si déstabilisante du silence de Dieu, sans jamais perdre la foi, trouvant en Jésus, le seul lieu où trouver une réponse.

« Mes pleurs sont ma nourriture nuit et jour parce que l’on me dit chaque jour : où donc est ton Dieu ». Ps 42, 4 Où est ton Dieu ? Voilà ce qu’on nous demande sur le ton de l’inquiétude, du doute ou de la moquerie. La mort, le péché, la détresse et la guerre, mais aussi la bravoure, la puissance et l’honneur – cela on le voit. Mais où est ton Dieu ? Personne n’a besoin d’avoir honte des larmes qui coulent parce qu’on ne voit pas encore Dieu, parce que nous ne pouvons pas encore prouver son existence à nos frères. Ce sont des larmes versées pour Dieu et dont il fait le compte. Où est ton Dieu ? Que pouvons nous répondre, sinon indiquer l’homme qui, dans sa vie, dans sa mort et dans sa résurrection s’est montré authentiquement Fils de Dieu, Jésus Christ ? Dans sa mort, il est notre vie ; dans le péché, il est notre pardon ; dans la détresse, il est celui qui nous vient en aide ; dans la guerre, il est notre paix. C’est cet homme que tu dois montrer, en disant de lui : voilà Dieu. Seigneur Jésus, lorsque je suis dans l’épreuve, parce que, dans ce monde, je ne puis voir Dieu ni sa puissance, ni son amour, fais-moi regarder fermement vers toi, car tu es mon Seigneur et mon Dieu. Amen

A la différence de certains courants spirituels qui font de l’appel à la vie intérieure une fuite des vanités du monde, Bonhoeffer invite à suivre le Christ dans le monde présent. Le croyant doit partager le même sort que ses contemporains dans un univers « éloigné » de Dieu. « Le monde devenu majeur est sans-Dieu et, peut-être justement pour cette raison, plus-près-de-Dieu que ne l’était le monde mineur… » A plusieurs reprises Dietrich eut l’occasion de s’éloigner définitivement de l’Allemagne d’Hitler en s’établissant en Angleterre ou aux Etats-Unis. Mais par deux fois, il refusa la fuite : « Je n’aurais pas le droit de prendre part à la reconstruction de la vie chrétienne en Allemagne après la guerre si je ne partage pas les épreuves de ce temps avec mon peuple ». Pour Dietrich le témoignage chrétien doit être visible et public, qu’importe les conséquences qu’entraîne un témoignage engagé. Il s’agit de marquer des différences, des écarts, par rapport à une vie conventionnelle. « La première confession de la communauté chrétienne vis-à-vis du monde est l’action ». Marcher à la suite du Christ, se comporter réellement en disciple dans le monde tel qu’il était après 1933 et tel qu’il est aujourd’hui impose des ruptures. Dès 1931, Dietrich s’inquiète du climat politique allemand. La République de Weimar se délite, le nazisme progresse. Il commence à s’exprimer publiquement. C’est ainsi que, le 1er février 1933, au lendemain de l’accession de Hitler au pouvoir, il s’attaque dans une émission de radio à la notion de Führer. Il prévient : «L’image du chef [führer] glisse vers l’image du séducteur [verführer]…». L’émission est interrompue. Il poursuit et s’en prend à la politique raciste des «nazis» dans des textes sur L’Église et la question juive. Il entre peu après dans la Résistance, prend une part active dans la fondation de l’Église confessante, c’est à dire résistante au nazisme. Face aux événements de son époque, Bonhoeffer estime que l’action de l’Église ne peut se limiter au domaine humanitaire: elle se doit de pénétrer la sphère politique. «Garder le silence en face du mal, c’est un mal en soi: Dieu ne nous tiendra pas pour innocent. Ne pas parler, c’est quand même exprimer quelque chose. Ne pas agir, c’est quand même faire quelque chose ».

Le texte bilbique

Mt 7, 24-27

24 Ainsi, celui qui entend les paroles que je dis là et les met en pratique est comparable à un homme prévoyant qui a construit sa maison sur le roc.

25 La pluie est tombée, les torrents ont dévalé, les vents ont soufflé et se sont abattus sur cette maison ; la maison ne s’est pas écroulée, car elle était fondée sur le roc.

26 Et celui qui entend de moi ces paroles sans les mettre en pratique est comparable à un homme insensé qui a construit sa maison sur le sable.

27 La pluie est tombée, les torrents ont dévalé, les vents ont soufflé, ils sont venus battre cette maison ; la maison s’est écroulée, et son écroulement a été complet. »

Les questions

Ce passage se situe à la fin du sermon sur la montagne dans lequel Jésus expose son enseignement sur la conduite de notre vie ; mais on peut élargir le champ d’application de ces versets à toute la bible, puisque Jésus est lui-même le Verbe incarné : il est la Parole de Dieu.

1) Quelles sont les fondations de ma vie ? Sont-elles solides ou branlantes ? Que dois-je consolider ?

2) Comment puis-je faire, concrètement, pour mieux connaître la Parole de Dieu ? Je peux décider de préparer la messe du dimanche en méditant les lectures de la messe. A l’issue de ce temps, j’essaie de traduire ma lecture de l’évangile par une action.

Le texte bilbique

Jn 8, 31-32

31 Jésus disait à ceux des Juifs qui croyaient en lui : « Si vous demeurez fidèles à ma parole, vous êtes vraiment mes disciples ;

32 alors vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres.

 

Jn 14, 6

Je suis le chemin, et la vérité, et la vie.

Les questions

Bonhoeffer a vécu de manière forte ce passage de l’Evangile : « la vérité vous rendra libre ».

Y-a-t-il des zones de ma vie où je n’agis pas comme un chrétien ? Où ai-je peur de témoigner de ma foi ?

Suis- je capable de dénoncer, de ne pas me compromettre, de rompre avec le mal ?

Méditation autour d'une oeuvre d'art
Rembrandt_-_The_Philosopher_in_Meditation

« Philosophe en méditation ».

Rembrandt. 1632. Paris. Louvre

Rechercher la vérité en toute chose, voilà bien une direction de vie choisie et maintenue jusqu’à la mort dans sa résistance au nazisme par le pasteur Dietrich Bohhoeffer, un des grands « saints protestants » du XXe siècle, inclus dans la célébration œcuménique des Témoins de la Foi au Colisée par Jean-Paul II, le 7 mai 2000, année du Grand Jubilé.

Si j’ai choisi ce « Philosophe en méditation » de Rembrandt pour « illustrer » cette étape de notre retraite de Carême, c’est peut-être d’abord parce que ce tableau est énigmatique, que son attribution à Rembrandt est contestée, passant plusieurs fois au XXe siècle d’une désattribution à une… réattribution, et que son titre est très aléatoire, puisqu’on y a vu aussi Tobie le Vieux et Sarah attendant le retour de Tobie le Jeune, ou encore Aristote méditant, ou  aussi Tobie aveugle…

Il y a donc pour les historiens d’art une recherche toujours inachevée à ce jour (inachevable ?) de la vérité de ce tableau, aussi bien de son auteur réel (Rembrandt ou l’un de ses disciples-élèves) que de son sujet réel !  Et c’est exprès pour cela que je l’ai choisi, même si sa beauté n’est pas indifférente ! Exprès pourquoi ? Parce que la vérité est  justement recherche et quête inlassable, et non pas une postulation par avance. Elle est adéquation à la réalité, et non pas déclinaison d’une vérité que nous posséderions déjà. Elle est un itinéraire, un pèlerinage, et pour qui cherche la vérité de la foi, elle nous conduit à Celui que nous cherchons sans le voir : Jésus-Christ lui-même.

Dietrich Bonhoeffer s’est battu contre l’ombre du mensonge, contre la volonté de destruction du Christianisme à l’oeuvre dans l’idéologie du IIIe. Reich, contre sa propre tentation de violence, contre cet …escalier en colimaçon qui contorsionne les pensées pour en tordre le sens et les amener à la nuit. Même s’il a été parfois aveuglé dans sa  quête de la vérité, elle était pourtant là, éclatante de lumière, source incandescente passant par la fenêtre et entrant dans ce laboratoire de l’âme dont Rembrandt ou celui qui usurperait son nom a si bien su rendre la force d’attraction.

Puisque ce tableau représente peut-être Tobie et Sarah, je désire aussi évoquer l’intense quête de vérité de l’amour humain et spirituel qui a lié Bonhoeffer à Maria von Wedemayer, à laquelle il s’est fiancé en 1943, alors qu’il était déjà emprisonné par le régime nazi, et dont témoigne leur magnifique correspondance entretenue jusqu’au jour de sa pendaison au camp de concentration de Flossenbürg, le 9 avril 1945.

À droite de l’escalier en colimaçon, Sarah entretien un feu : rechercher la vérité en toute chose réclame que nous maintenions le feu du désir de l’amour allumé en nous, jusqu’à la mort et au-delà, puisque la Vérité de Dieu est qu’il est Amour.