Délivre-nous du mal
Introduction

Cette dernière demande, qui pour nous ouvre la retraite de carême, nous introduit directement dans l’enjeu de ce temps spirituel, celui de notre conversion. Cette demande est une plainte, un cri vers le Sauveur. Nous aspirons à la liberté mais restons parfois esclaves. Comme le peuple d’Israël, nous voulons franchir le désert, abandonner nos idoles et ce qui nous entrave pour entrer appauvris, purifiés, libérés en Terre promise.

Méditation

Romano Guardini

 

Quel est ce mal dont le Notre Père nous apprend à demander d’être délivrés ?

Ce qu’est le mal ? Il semble que nous ne pourrions être embarrassés de répondre qu’en raison du grand nombre des maux.
Nous n’avons pas à prendre la peine de chercher ; ils nous assaillent de toutes parts : la maladie et la nécessité, la souffrance, le malheur et la mort…
Ainsi, notre expérience est d’accord et le cœur humain comprend bien que nous nous présentions au Seigneur du monde avec toute cette misère, en lui demandant de nous secourir.

Mais, une première fois déjà, à propos de la demande pour le pain quotidien, nous avons vu que nous ne devions pas prendre d’une façon trop superficielle cet appel à l’aide.
Les choses ne se présentent pas comme s’il existait un médecin pour guérir les maladies et que nous allions à Dieu parce qu’il est le meilleur médecin ; ou bien comme s’il existait des autorités pour les difficultés économiques et que nous allions à lui comme à l’instance suprême en qui nous pouvons avoir le plus de confiance.
Déjà nous avons vu que la demande chrétienne signifie autre chose qu’une simple demande de secours à une puissance suprême et bienveillante, grâce à laquelle les choses de ce monde se passeraient comme dans un conte fantastique et facile, ou bien la demande traduirait l’illusion d’un homme naïf encore ignorant, qui doit disparaître dès que le regard devient plus pénétrant. (…)

Délivrez-nous de la malice en nous pour qu’il n’y ait pas de mal dans le monde…
Faites-nous comprendre que le mal vient de la malice dans l’homme, de la malice en moi…
Faites-moi comprendre que le monde peut sans cesse se renouveler, le bien extérieur par le bien intérieur du cœur racheté, qui a reçu de vous, par la foi et le baptême, le germe de la nouvelle création ».
C’est là que doivent commencer « les cieux nouveaux et la terre nouvelle » qu’aucun mal n’accable plus parce qu’il n’y a plus en eux de malice, mais seulement du bien issu du bien.
Du bonheur extérieur qui procède de la sainteté intérieure, car ce qui était auparavant est passé. (…)

Ainsi donc, la demande « Délivrez-nous du mal » signifie : « Faites que se rompe le terrible enchevêtrement dans lequel le mal surgit sans cesse de la malice, et de la malice à nouveau le mal ».
Or il peut être rompu dans chacun des cœurs qui se donnent à Dieu et qui se rangent à côté de lui pour veiller à l’accomplissement de sa volonté.
Car bien sûr, il y a enchevêtrement, mais sans fatalité aveugle. La rédemption a eu lieu pour tous et peut se réaliser en chacun.
Venue de Dieu, la liberté des enfants de Dieu peut s’éveiller dans l’homme et, émanant du cœur libéré, la force de la rédemption peut pénétrer dans l’enchaînement du monde.

Benoît XVI

 

Quel est ce mal dont le Notre Père nous apprend à demander d’être délivrés ?

Dans la dernière demande, nous venons au Père avec l’espérance centrale de notre foi : « Sauve-nous, rachète-nous, libère-nous ! » C’est enfin la demande de rédemption.
De quoi voulons-nous être rachetés ? La nouvelle traduction du Notre Père dit « du mal » sans distinguer « entre le mal » et « le Malin », mais en fin de compte, les deux sont indissociables.
Oui, nous voyons devant nous le dragon dont parle l’Apocalypse (chapitres 12 et 13).
Jean a dépeint « la bête qui monte de la mer », des sombres abîmes du mal, avec les attributs du pouvoir politique romain.
Ainsi il a donné un visage très concret à la menace à laquelle étaient confrontés les chrétiens de son temps : la mainmise totale sur l’homme, qu’instaure le culte impérial, érigeant et faisant culminer le pouvoir politique, militaire et économique dans une toute-puissance totale et exclusive.
Voilà la forme même du mal qui risque de nous engloutir, allant de pair avec la décomposition de l’ordre moral par une forme cynique de scepticisme et de rationalisme.
Face à cette menace, le chrétien du temps de la persécution fait appel au Seigneur comme la seule puissance en mesure de le sauver : délivre-nous du mal.

L’empire romain et ses idéologies ont beau avoir sombré, comme tout cela est pourtant actuel ! Aujourd’hui aussi il y a, d’une part, les puissances du marché, du trafic d’armes, du trafic de drogue, du trafic d’êtres humains, puissances qui pèsent sur le monde et qui jettent l’humanité dans des contraintes auxquelles on ne peut résister.
Aujourd’hui aussi, il y a, d’autre part, l’idéologie de la réussite, du bien-être, qui nous dit : Dieu n’est qu’une fiction, il ne fait que nous prendre du temps et il nous fait perdre l’appétit de vivre. Ne te soucie pas de lui ! Cherche seulement à jouir de la vie autant que tu peux.
Ces tentations aussi paraissent irrésistibles.
Le Notre-Père dans son ensemble — et cette demande en particulier — veut nous dire : c’est uniquement quand tu auras perdu Dieu que tu te seras perdu toi-même ; alors tu ne seras plus qu’un produit fortuit de l’évolution. Alors « le dragon » aura vraiment vaincu.
Aussi longtemps qu’il ne pourra t’arracher Dieu, malgré tous les malheurs qui te menacent, tu seras toujours resté foncièrement sain.
Il est donc juste que la nouvelle traduction nous dise : délivre-nous du mal. Les malheurs peuvent être utiles à notre purification, mais le mal est destructeur. C’est pourquoi nous demandons profondément que ne nous soit pas arrachée la foi qui nous fait voir Dieu, qui nous unit au Christ. C’est pourquoi nous demandons que les biens ne nous fassent pas perdre le bien lui-même ; que, dans la perte des biens, nous ne perdions pas pour nous-mêmes le Bien, Dieu ; que nous ne nous perdions pas par nous-mêmes. Délivre-nous du mal ! (…)

C’est la même confiance que Saint-Paul a si merveilleusement exprimée : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ?… Qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? La détresse ? l’angoisse ? la persécution ? la faim ? le dénuement ? le danger ? le supplice ?… Oui, en tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés. J’en ai la certitude, ni la mort ni la vie, ni les esprits ni les puissances, ni le présent ni l’avenir, ni les astres, ni les cieux, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est en Jésus Christ notre Seigneur ». (Rom 8, 31-39)

Les questions

Durant cette première semaine de Carême, je prie cette prière de délivrance au mal dans toutes ses dimensions.
De quel mal puis-je demander au Seigneur d’être délivré ?

1) J’essaye d’abord d’identifier le mal (ou les maux) que je subis comme extérieur, qui ne dépend pas de moi, qui est source pour moi de souffrance ou d’épreuve : maladie, relation difficile, précarité …
Je peux prier le Seigneur qu’il m’en délivre et peut-être ma prière sera exaucée ; mais je peux aussi lui demander qu’il m’aide à faire face à ce mal, à ne pas en devenir la victime ; je peux lui demander d’être à mes côtés tandis que je lui offre la souffrance que ce mal me cause en le rejoignant à l’oratoire pour un temps d’adoration, et il m’aidera dans cette épreuve.

2) J’essaye d’identifier le mal qui a une emprise sur moi : addiction, dépendance, même légère, à des substances, des comportements négatifs (colère, envie, jalousie …), des habitudes de compulsion (smartphone, shopping, …), etc.… tout ce qui donne prise au malin sur moi, qui me fait du mal et qui peut m’amener à en faire aux autres.
Je peux prier pour cette délivrance, m’en ouvrir à un prêtre, demander le sacrement de réconciliation.

3) J’essaye d’identifier dans l’immensité du mal qui détruit le monde et la société ce qui me touche tout particulièrement dans mon cœur : guerres, persécutions, esclavage humain, faim et pauvreté́…, et qui me dépasse très largement.
En ce temps de Carême, je peux demander à Marie son intercession pour que le monde soit délivré de ce mal précis, en lui consacrant la prière d’un chapelet.