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« La notion de seconde prend de plus en plus de place dans les activités humaines,
et bientôt ce sera un dixième de seconde, puis un centième,
jusqu’au jour – je ne crois pas qu’il vienne – où l’homme fatigué dira :
et puis, après tout, qu’est-ce qu’une heure dans la vie d’un homme ? »

John Steinbeck, A l’Est d’Eden

LA PAROLE DE DIEU

Souviens-toi du jour du sabbat pour le sanctifier. Pendant six jours tu travailleras et tu feras tout ton ouvrage ; mais le septième jour est le jour du repos, sabbat en l’honneur du Seigneur ton Dieu : tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni tes bêtes, ni l’immigré qui est dans ta ville. Car en six jours le Seigneur a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent, mais il s’est reposé le septième jour. C’est pourquoi le Seigneur a béni le jour du sabbat et l’a sanctifié.
Ex 20, 8 – 11

Il y a un moment pour tout, et un temps pour chaque chose sous le ciel : un temps pour donner la vie, et un temps pour mourir ; un temps pour planter, et un temps pour arracher. Un temps pour tuer, et un temps pour guérir ; un temps pour détruire et un temps pour construire. Un temps pour pleurer, et un temps pour rire ; un temps pour gémir, et un temps pour danser. Un temps pour jeter des pierres, et un temps pour les amasser ; un temps pour s’étreindre, et un temps pour s’abstenir. Un temps pour chercher, et un temps pour perdre ; un temps pour garder, et un temps pour jeter. Un temps pour déchirer, et un temps pour coudre ; un temps pour se taire, et un temps pour parler. Un temps pour aimer, et un temps pour ne pas aimer ; un temps pour la guerre, et un temps pour la paix. Quel profit le travailleur retire-t-il de toute la peine qu’il prend ? J’ai vu la besogne que Dieu impose aux fils d’Adam pour les tenir en haleine. Toutes les choses que Dieu a faites sont bonnes en leur temps. Dieu a mis toute la durée du temps dans l’esprit de l’homme, mais celui-ci est incapable d’embrasser l’œuvre que Dieu a faite du début jusqu’à la fin. J’ai compris qu’il n’y a rien de bon pour les humains, sinon se réjouir et prendre du bon temps durant leur vie. Bien plus, pour chacun, manger et boire et trouver le bonheur dans son travail, c’est un don de Dieu. Je le sais : tout ce que Dieu fait, à jamais, demeurera. À cela, il n’y a rien à ajouter, rien à retrancher.
Qo 3, 1 – 14

LA MÉDITATION

Dans les colonnes du Figaro (12/10/2015), Mgr Ravel  invitait à une prise de conscience :

Le temps de l’écologie nous appelle à une écologie du temps. Il ne s’agit pas d’une formule, mais d’une prise de conscience. À l’écologie de l’espace, il nous faut joindre une écologie du temps. (…) Dieu créé le temps avant le monde par une étrange lumière qui forge l’alternance fondamentale : “Il y eut un soir, il y eut un matin, ce fut le premier jour.” Tout est créé ensuite selon le temps et immergé en lui. Avant tout, l’ordre et l’équilibre du monde apparaissent temporels. Sans mesure pour la cadrer, notre vie se dissipe en sons discordants. Grâce au rythme, elle fleurit en un chant sacré.  (…) Le « manque de temps » nous guette. Et pourtant, nous avons 24 heures par jour comme nos anciens. Où est l’erreur ? Je croise beaucoup plus de personnes en manque de temps que d’espace pour parler, aimer ou se reposer. Nous dilapidons la Terre parce que le temps est en rupture de stock. Le sage disait : « il n’y a de temps pour rien ». Un temps anémié parce qu’il n’est plus rythmé : où sont les alternances heureuses du jour et de la nuit (l’électricité a des avantages mais pas que), du dimanche et des jours ouvrés (je ne veux pas polémiquer sur le dimanche), des saisons de l’année (nous ne sommes pas des plantes de serre) et des saisons de la vie (être vieux n’est pas une maladie). (…) C’est une expérience banale : en grattant bien nos journées, nous trouvons un peu de temps mais un temps de mauvaise qualité, un temps épais de soucis, empoisonné par des bêtises, usé par l’angoisse. C’est un fond de casserole un peu brûlé dont on ne peut faire un vrai moment de repos ou de contemplation.  Et ce temps péniblement dégagé nous file entre les doigts : c’est une succession d’instants désordonnés. C’est un paquet de minutes polluées par un défilement d’images trop rapides pour respecter notre horloge intérieure. Les faits se superposent jusqu’à l’excès et saturent notre esprit. Nos décisions deviennent hasardeuses et tout ce qui n’est pas intégré sans effort dans nos plannings dérange comme un cheveu sur la soupe. Le monde et son respect, la terre et son climat se posent en gêneurs d’un temps estropié. (…) L’espace de cinq minutes, modifions notre usage habituel du temps : intéressons-nous à faire les choses lentement. À marcher par exemple au lieu de rouler. D’un coup, notre rapport au monde évolue vers une harmonie paisible. Le respect naît sans effort.

Dès les premières lignes de la genèse, Dieu structure le temps par l’alternance du jour et de la nuit mais aussi par l’instauration du 7ème jour, jours de Sabbat qui sera plus tard inscrite dans la Loi. Le Sabbat est un temps pour s’arrêter, se reposer, admirer, contempler. C’est le temps où l’homme doit se défaire de l’œuvre de ses mains. Tant de tensions et de stress proviennent du fait que nous sommes en permanence dans l’urgence. Nous n’arrivons pas à nous arrêter. Comme le rappelle le pape François, « les dynamiques des moyens de communication sociale et du monde digital, qui, en devenant omniprésentes, ne favorisent pas le développement d’une capacité de vivre avec sagesse, de penser en profondeur, d’aimer avec générosité. Les plus grands sages du passé, dans ce contexte, auraient couru le risque de voir s’éteindre leur sagesse au milieu du bruit de l’information qui devient divertissement ». Au flux continu, s’oppose la rupture et le rythme. Le Seigneur n’a pas institué le repos du dimanche pour accomplir ce qui est resté en souffrance durant la semaine. Ce repos de Dieu est tellement important qu’il est inscrit dans les 10 commandements. Il est bien évidemment spirituel mais aussi psychologique et physique.

 

La loi du Sabbat illustre ce respect du rythme inscrit dans la nature par la main du créateur.

Pape François, Laudato Si

 

Venus du judaïsme, les premiers chrétiens observaient tout naturellement le sabbat. Comme Jésus l’avait fait, ils n’ont pas jugé bon d’abandonner les observances traditionnelles ni de se séparer de leurs frères juifs. Le sabbat, ils gardaient le repos et priaient au temple ou à la synagogue. Mais autour d’eux le « premier jour » était un jour ordinaire, il n’était pas chômé. Eux en connaissaient la signification sans avoir besoin de le manifester d’une autre façon que par leur assemblée. Ce « premier jour », ils ne tardèrent pas à l’appeler le « Jour du Seigneur ». La communauté primitive reprenait ainsi l’ancienne coutume liturgique du judaïsme : elle célébrait le « Mémorial ». Ce n’était plus, comme dans la Pâque traditionnelle, le mémorial de la libération d’Égypte, c’était celui de la nouvelle Pâque, la victoire du Christ sur la mort. « Faire mémoire », ce n’est pas seulement se souvenir d’un disparu. Ce n’est pas commémorer un événement du passé ou évoquer un mort. C’est reconnaître et accueillir un vivant. Chaque dimanche, on se retrouve dans la situation des disciples d’Emmaüs, des apôtres réunis au cénacle ou des compagnons de Pierre au matin d’une nuit de pêche sur le lac de Tibériade. Jésus est là, mystérieusement présent au milieu des siens. L’accueillir, c’était aussi se laisser envahir par sa vie, accepter d’être rassemblés par lui dans la foi et la charité, comme les membres de son Corps. C’était aussi vivre de l’espérance de son retour, attendre sa venue glorieuse comme le couronnement des temps nouveaux.

 

Le dimanche, la participation à l’Eucharistie a une importance spéciale. Ce jour, comme le sabbat juif, est offert comme le jour de la purification des relations de l’être humain avec Dieu, avec lui-même, avec les autres et avec le monde. Le dimanche est le jour de la résurrection, le “premier jour” de la nouvelle création, dont les prémices sont l’humanité ressuscitée du Seigneur, gage de la transfiguration finale de toute la réalité créée. En outre, ce jour annonce « le repos éternel de l’homme en Dieu ». De cette façon, la spiritualité chrétienne intègre la valeur du loisir et de la fête. L’être humain tend à réduire le repos contemplatif au domaine de l’improductif ou de l’inutile, en oubliant qu’ainsi il retire à l’œuvre qu’il réalise le plus important : son sens. Nous sommes appelés à inclure dans notre agir une dimension réceptive et gratuite, qui est différente d’une simple inactivité. Il s’agit d’une autre manière d’agir qui fait partie de notre essence. Ainsi, l’action humaine est préservée non seulement de l’activisme vide, mais aussi de la passion vorace et de l’isolement de la conscience qui amène à poursuivre uniquement le bénéfice personnel. La loi du repos hebdomadaire imposait de chômer le septième jour « afin que se reposent ton bœuf et ton âne et que reprennent souffle le fils de ta servante ainsi que l’étranger » (Ex 23:12). En effet, le repos est un élargissement du regard qui permet de reconnaître à nouveau les droits des autres. Ainsi, le jour du repos, dont l’Eucharistie est le centre, répand sa lumière sur la semaine tout entière et il nous pousse à intérioriser la protection de la nature et des pauvres.

Pape François, Laudato Si

UNE FIGURE SPIRITUELLE

st Benoit

Saint Benoît

Issu d’une famille noble de Nursie, dans le centre de l’Italie, Benoît passa sa jeunesse à étudier à Rome. Choqué par la vie dissolue qui s’y menait, il se retira dans une région déserte près de Subiaco et vécut dans une grotte (baptisée plus tard la grotte sainte) pendant trois ans.

Durant toute cette époque, sa réputation de saint homme grandit et le peuple en foule accourut pour le voir. Sollicité pour devenir abbé dans un monastère du nord de l’Italie, il accepta. Mais les moines, en désaccord avec les règles qu’il imposa, tentèrent de l’empoisonner. Benoît quitta la communauté et, peu de temps après, fonda un monastère au mont Cassin.

Saint Benoît établit, à l’intention des moines, une règle de vie, la Règle bénédictine, dont l’expansion fut immense et qui fut reprise et codifiée par saint Benoît d’Aniane. Inspirée de l’Écriture sainte, elle recommande aux moines, qui vivent en communauté dirigée par un abbé, de respecter quatre principes essentiels : modération, gravité, austérité, douceur. La modération (discretio) est présente dans les usages quotidiens de la nourriture, de la boisson et du sommeil ; la gravité a pour corollaire le silence ; l’austérité implique l’éloignement du monde et le renoncement à la possession ; la douceur est bonté, amour évangélique, hospitalité exercée envers les humbles. Astreints à la lecture et au travail manuel, les moines doivent se consacrer au service de Dieu qui culmine dans l’office divin.

Vers 540, saint Benoît établit, à l’intention des moines du monastère du mont Cassin, une règle de vie, où il organise la vie monastique d’une façon rigoureuse, tout en laissant place à l’indulgence envers les faiblesses individuelles. L’organisation de la vie cénobitique passe par des tâches régulières et quotidiennes, rythmées par les offices. Avec la prière, le travail et la lecture deviennent un moyen pour se consacrer au service de Dieu.

 

Les conseils de Saint Benoît :

 

Apprendre à écouter…

Le silence permet avant tout de se recentrer sur soi, et aussi d’être plus attentif aux autres. Se réserver des temps de silence permet de gagner en sérénité, tout en augmentant son efficacité.

 

Compartimenter et rythmer ses journées

Chez les moines, la règle impose un temps pour tout : temps pour la prière, temps pour les repas, temps pour le travail, temps pour soi… Ces principes du premier millénaire n’ont rien à envier aux règles de gestion du temps enseignées de nos jours : planifier ses tâches, fixer une limite de durée, et la respecter. Chez les moines, quand la cloche sonne, tout le monde s’arrête et passe à l’activité suivante.

 

Redécouvrir le rythme des saisons

La nature vit au rythme des saisons, le règne animal et le règne végétal acceptent ce rythme naturel et s’y adaptent. L’Église elle-même suis un rythme saisonnier à travers le temps liturgique qui rythme l’année et suis les saisons : le temps de l’Avent, le temps de Noël, le temps du Carême, le temps Pascal, le temps ordinaire…

 

Distinguer l’essentiel et l’accessoire

Pour les moines, leur raison d’être, c’est la prière. Tout est organisé autour de cette priorité absolue. Les perturbations, les sollicitations multiples donnent du pouvoir à la dictature de l’immédiateté et nous fait perdre de vue ce qui compte réellement. Chercher à ne pas s’éparpiller contribue à unifier son être et sa personne.

 

Faire du temps un allié

La règle de Saint-Benoît nous apprend la patience, l’attente, l’attention aux autres, être présent au présent. Contempler la patience de Dieu envers nous, nous aide à découvrir le rythme lent mais sûr de la grâce. « A tes yeux mille ans sont comme un jour ». Ps 90.

Questions à méditer

  • Ai-je, dans ma journée, dans ma semaine, des temps d’arrêt, de silence, de prière, de gratuité ?
  •  Dans un monde structuré par le souci de l’efficacité immédiate et par des projets avec des objectifs déterminés, suis-je capable de laisser le temps faire son œuvre pour la maturation de ma personne ?

Point de conversion proposé :

(Re)Trouver du temps dans ma vie pour écouter Dieu.

Points d’action pour avancer sur ce chemin de conversion

  • Faire un trajet en marchant, en vélo, en trottinette etc.
  • Veiller à garder des temps de silence dans ses journées
  • Visiter ou inviter une voisine seule, un malade, une personne âgée
  • Faire un jeu de société avec des amis ou ses enfants
  • Ne RIEN acheter le dimanche
  • Instaurer la discipline d’un temps de prière quotidien de quelques minutes