Avec cet évangile de Matthieu, nous commençons notre dernière semaine de méditation dans un registre plus familier pour une retraite de Carême : celui du partage, de la charité et de l’amour en acte. Sur notre chemin de conversion vers Pâques, le Christ nous indique le chemin vers le Royaume : prenons soin des plus petits, des plus faibles car à travers eux c’est le Seigneur que nous aimons ou que nous ignorons : « chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ». Pour nous, l’amour de notre prochain est indissociable de l’amour de Dieu : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu [ ].Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. » (Marc, 12). Cela m’invite à rechercher une cohérence entre ma vie spirituelle, ma foi et mes actes envers mon prochain. C’est une première invitation à unifier ma vie de chrétien.
Je dois donc prendre soin de mon prochain, mais pourquoi prendre soin de la nature ? L’écologie ne m’éloigne-t-elle pas de l’essentiel : aimer Dieu et aimer mon prochain comme moi-même, ces deux commandements qui me guident sur le chemin du Royaume ? La question pourrait sembler légitime, mais elle nous égare. Il ne s’agit pas de mettre la nature au-dessus de l’homme et encore moins au-dessus de Dieu, mais de prendre conscience que la charité pour le plus petit de nos frères et le soin de la création qui nous a été confiée, sont indissociables.
La création est un bien commun qui n’est pas inépuisable. Si nous nous l’accaparons, si nous la détruisons ou l’affaiblissons, c’est d’abord au détriment des plus fragiles que nous le faisons, sans oublier nos enfants et les générations futures à qui la terre est aussi donnée en partage.
Le Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise nous éclaire sans équivoque sur ce point :
« Dans le domaine de l’écologie aussi, la doctrine sociale invite à tenir compte du fait que les biens de la terre ont été créés par Dieu pour être savamment utilisés par tous ; ces biens doivent être équitablement partagés, selon la justice et la charité. Il s’agit essentiellement d’empêcher l’injustice d’un accaparement des ressources : l’avidité, aussi bien individuelle que collective, est contraire à l’ordre de la création ».
« Le principe de la destination universelle des biens offre une orientation fondamentale, morale et culturelle, pour dénouer le nœud complexe et dramatique qui lie crise environnementale et pauvreté. La crise environnementale actuelle frappe particulièrement les plus pauvres, soit parce qu’ils vivent sur des terres qui sont sujettes à l’érosion et à la désertification, soit parce qu’ils sont impliqués dans des conflits armés ou contraints à des migrations forcées, ou encore parce qu’ils ne disposent pas des moyens économiques et technologiques pour se protéger des calamités ». § 481 – 482
C’est ce que le Pape François reprend quand il affirme que « tout est lié » : “Il n’y a pas deux crises séparées, l’une environnementale et l’autre sociale, mais une seule et complexe crise socio-environnementale. Les possibilités de solution requièrent une approche intégrale pour combattre la pauvreté, pour rendre la dignité aux exclus et simultanément pour préserver la nature” (LS 139).
Il n’y a donc pas de charité sans écologie, comme il n’y a pas d’écologie chrétienne sans prendre soin de la vie et bien sûr de l’homme. Loin de s’opposer à l’amour de mon prochain, l’écologie chrétienne y contribue. Elle rend aussi grâce au Créateur à travers la contemplation et la préservation de son œuvre. Elle participe totalement à l’unification de ma vie de chrétien.
Aimer son prochain n’est pas toujours facile au quotidien. Prendre soin de la création non plus. Je mesure combien il est difficile de changer mes habitudes, de renoncer, même un peu, à mon confort et d’adapter mon mode de vie alors que mon impact individuel reste limité. Dans ce domaine aussi j’ai besoin de reconnaître mes doutes, mes faiblesses et de demander au Seigneur son aide et son pardon.
Je n’imagine pas sauver l’humanité tout seul même si je prends soin de mon prochain. Et pourtant, l’évangile de Matthieu me rappelle que chacun de mes gestes pour le plus petit de mes frères compte aux yeux de mon Seigneur. De la même manière, chacun de mes gestes pour la création compte, même si je ne pourrais pas sauver la planète tout seul. Chacun de mes gestes pour la création compte car c’est un acte de partage du bien commun et un acte de gratitude envers le Créateur. Enfin, à l’image de la charité pour mon prochain qui est source de joie pour moi, prendre soin de la nature est source de joie et de plénitude. Cela m’amène à privilégier l’être et non l’avoir, à communier avec mes frères et toute la création, en accord avec ma foi.
Ainsi, la crise écologique nous appelle à une conversion intégrale. Elle passe par une approche unifiée de nos vies : sociale, familiale, professionnelle et bien sûr spirituelle : « la crise écologique est un appel à une profonde conversion intérieure » (LS 217).
Cette conversion est exigeante et parfois difficile mais elle est essentielle pour les chrétiens comme le souligne François : “Les chrétiens ont donc besoin d’une conversion écologique, qui implique de laisser jaillir toutes les conséquences de leur rencontre avec Jésus-Christ sur les relations avec le monde qui les entoure. Vivre la vocation de protecteurs de l’œuvre de Dieu est une part essentielle d’une existence vertueuse ; cela n’est pas quelque chose d’optionnel ni un aspect secondaire dans l’expérience chrétienne.” (LS 217).