Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés
Méditation

Benoît XVI

 

Cette demande du Notre Père présuppose un monde où il y a des offenses – offenses des hommes les uns envers les autres, offenses envers Dieu.

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Le dépassement de la faute est une question centrale de toute existence humaine.

L’histoire des religions gravite autour de cette question.

La faute appelle la vengeance, et ainsi se crée une escalade de l’endettement où le mal de la faute ne cesse de croître et dont il devient de plus en plus difficile de sortir.

Par cette demande, le Seigneur nous dit : la faute ne peut être dépassée que par le Pardon, et non par la vengeance.

Dieu est un Dieu qui pardonne, parce qu’il aime ses créatures.

Mais le pardon ne peut entrer et agir que dans celui qui, lui-même, pardonne.

Le thème du Pardon traverse tout l’Évangile.

Nous le rencontrons tout au début du Sermon sur la montagne, dans la nouvelle interprétation du cinquième commandement, où le Seigneur nous dit : « Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande sur l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande » (Mt 5, 23-24).

Celui qui n’est pas réconcilié avec son frère ne peut se présenter devant Dieu.

Le devancer dans le geste du Pardon, aller vers lui, telle est la condition pour rendre un juste culte à Dieu.

À ce sujet, on pense spontanément que Dieu lui-même, sachant que nous, les hommes, nous étions rebelles et en opposition avec lui, est sorti de sa divinité pour venir à notre rencontre et pour nous réconcilier.

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Si nous voulons pleinement comprendre cette demande et la faire nôtre, nous devons faire un pas de plus et nous demander : qu’est véritablement le Pardon ? Qu’advient-il dans le pardon ? La faute est une réalité, une réalité objective ; elle a causé une destruction qui doit être surmontée.

C’est pourquoi le pardon doit être plus qu’une volonté d’ignorer ou d’oublier.

La faute doit être assumée, réparée et ainsi surmontée.

Le Pardon a un coût, et d’abord pour celui qui pardonne.

Le mal qui lui a été fait, il doit le surmonter intérieurement, le brûler au-dedans de lui et ainsi se renouveler, de sorte qu’il fasse entrer l’autre, le coupable, dans ce processus de transformation et de purification intérieures, que tous deux se renouvellent en souffrant le mal jusqu’au fond et en le surmontant.

C’est là que nous butons sur le mystère de la croix du Christ.

Mais tout d’abord, nous butons sur les limites de notre force à guérir et à surmonter le mal.

Nous butons sur la supériorité du mal, que nous ne pouvons vaincre avec nos seules forces.

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La demande de Pardon est plus qu’un appel moral, ce qu’elle est aussi par ailleurs.

Et en tant que telle, c’est un défi quotidien qui nous est lancé.

Mais elle est profondément, tout comme les autres demandes, une prière christologique.

Elle nous rappelle celui qui, par le Pardon, a payé le prix de la descente dans la misère de l’existence humaine et de la mort sur la croix.

Elle nous appelle à en être reconnaissants, mais aussi à résorber, avec lui, le mal par l’amour, à le consumer par la souffrance.

Et si nous devons reconnaître, jour après jour, à quel point nos forces sont insuffisantes, combien de fois nous-mêmes ne redevenons-nous pas débiteurs ?

Alors cette prière nous donne le grand réconfort de savoir que notre prière est assumée par son amour et, avec lui, par lui et en lui, elle peut malgré tout devenir force de guérison.

Romano Guardini

 

« Les offenses » représentent une déficience à l’égard de ce qui nous oblige ; il faut pour cela que l’on fasse ce qui ne doit pas être fait, que l’on néglige d’accomplir ce qui doit être accompli.

Mais qu’est-ce qui détermine ce qui doit être fait et ce qu’il n’est pas permis de faire ?

Dans le vocabulaire éthique des temps modernes, nous disons que c’est « la loi morale ».

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Mais pour le croyant, ce qui le lie en conscience n’est pas seulement une loi morale abstraite : c’est quelque chose de vivant donné par Dieu.

C’est le bien sacré qui, venu de lui, pénètre jusqu’au fond de nous-mêmes et exige d’être accompli.

Dieu lui-même est, par essence, le bien, et il veut que nous devenions bons comme il est bon.

Quand donc nous péchons, c’est contre ce bien.

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Le Notre-Père dit : « On ne peut triompher du péché que par l’union d’amour avec Dieu. Si donc tu vas à Dieu avec ton péché, examine-toi pour savoir si tu es dans l’amour ».

Il n’est pas possible de le savoir comme on sait que l’on est habillé convenablement ou que l’on a payé une dette, car l’amour est objet de foi.

Que Dieu m’aime, mais aussi que, par sa grâce, je l’aime – tout cela n’appartient pas à ce monde, c’est une grâce et un mystère et, en conséquence, je ne puis que l’espérer dans la foi.

Mais j’ai un gage qui me permet de croire et d’espérer que je possède l’amour quand je pardonne loyalement son offense à autrui : l’affront, l’insulte, le dommage, la parole méchante, le discours calomnieux, le jugement dur, l’attitude blessante, tout ce par quoi il a eu des torts envers moi.

Je puis croire avec confiance que je suis dans l’amour selon la mesure où mon pardon à l’égard d’autrui est loyal.

Plus je domine sincèrement ma résistance intérieure, plus loyalement je cherche à écarter ma haine et mon aversion, plus profondément je fais descendre mon pardon réel, sincère, libérateur, dans la profondeur du tort qui m’a été fait, et plus il m’est permis d’espérer être dans l’amour qui fait que ma demande de pardon est entendue.

Tu dois aimer Dieu et ton prochain comme toi-même, c’est-à-dire ici : Tu dois pardonner à autrui comme tu souhaites que Dieu te pardonne.

Tu dois faire à autrui ce que tu implores pour toi-même, afin que soit fermé ce circuit d’amour dans lequel seulement tout pardon trouve sa place.

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Comme la demande du Notre Père nous exhorte à admettre l’offense faite à Dieu par les péchés que nous avons consciemment commis !

A reconnaître la grandeur de la faute que nous ne prenons souvent que pour une vétille.

A voir les péchés sous-jacents à nos justices et à nos vertus, et, au-delà, à reconnaître que non seulement nous avons commis des péchés, mais que nous sommes pécheurs, et que, par tout ce que nous sommes, nous portons une faute devant Dieu.

Le Notre-Père nous invite à ne pas nous élever au-dessus de la masse dans un « aristocratisme » de la conscience, mais à nous situer sincèrement dans la responsabilité collective des hommes. Il nous exhorte à demander pardon non seulement pour la faute individuelle, mais encore pour celle qui embrasse tous les hommes, afin que Dieu nous ouvre les yeux sur elle, nous délivre de l’emprise qu’elle exerce sur nous et nous aide à nous en arracher pour revenir sans cesse vers lui.

Thérèse d’Avila

Le Seigneur continue la prière qu’Il nous enseigne, et ajoute ces paroles : Seigneur, pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.

Considérons, mes sœurs, qu’il ne dit pas : comme nous pardonnerons.

Nous devons comprendre, en effet, que celui qui demande un bienfait aussi grand que le précédent et qui a déjà remis complètement sa volonté entre les mains de Dieu, doit avoir pardonné.

Voilà pourquoi le Sauveur dit : comme nous pardonnons.

Ainsi donc quiconque a dit du fond du cœur cette parole à Dieu : Que votre volonté soit faite, doit avoir déjà tout pardonné ou du moins en avoir pris le ferme propos.

Voyez donc, mes sœurs, comme les saints se réjouissaient au milieu des injures et des persécutions ; c’est qu’ils en tiraient quelque chose à offrir au Seigneur, pour lui adresser cette prière.

Que fera une pauvre âme comme la mienne, qui a eu si peu à pardonner et qui a tant besoin qu’on lui pardonne ?

Voilà une vérité, mes sœurs, que nous devons bien considérer.

Une faveur aussi grande et aussi importante que le pardon accordé par Notre-Seigneur pour des fautes qui auraient mérité le feu éternel, nous est accordée à la condition de prendre un moyen aussi humble que celui de pardonner nous-mêmes.

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Soyez béni, ô Père céleste, de ce que vous me supportez malgré ma pauvreté.

Votre Fils a demandé au nom de tous ; aussi toute pauvre et dénuée de ressources que je suis, mes dettes seront payées.

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Mais qui pourra dire combien cet amour mutuel que nous commande le Seigneur doit lui être agréable ?

Le bon Jésus aurait bien pu lui représenter d’autres œuvres et lui dire : Pardonnez-nous, Seigneur, parce que nous faisons beaucoup de pénitences, beaucoup de prières, beaucoup de jeûnes, ou parce que nous avons tout abandonné pour vous et que nous vous aimons beaucoup.

Il n’a pas dit non plus : pardonnez-nous, parce que nous sommes prêts à faire le sacrifice de la vie pour vous, ou autres choses de ce genre : mais seulement parce que nous pardonnons.

Peut-être a-t-il dit cette parole parce qu’il nous sait si attachés à ce vil point d’honneur, que rien ne nous coûte tant que de le fouler aux pieds et que rien n’est plus agréable à son Père que de nous voir y renoncer ; aussi il en fait à son Père le sacrifice de notre part.

Proposition :  le Carême, temps du pardon

En ce temps de Carême, essayons d’expérimenter pleinement ce cercle vertueux du pardon de Dieu : C’est parce que je me sais pardonné que je peux pardonner. Pour pouvoir pardonner, je vais aller puiser mes forces dans le pardon reçu de Dieu. Peut-être que la proposition faite nous paraît trop ambitieuse ; l’idée n’est pas d’accomplir ce chemin tout entier cette semaine, mais de m’engager à le faire avant Pâques.

La première étape de ce chemin sera donc de recevoir le sacrement de réconciliation ; pour cela, je me prépare en faisant mon « examen de conscience » ; si je n’ai pas l’habitude de me confesser, ou si je ne l’ai pas fait depuis longtemps, ou si je n’en comprends pas l’intérêt, je peux profiter de ce temps de Carême pour lire le petit dossier sur la confession préparé par les frères de Saint-Jean du prieuré de Troussures (14 pages) ; il inclut en particulier un processus d’examen de conscience, à partir de la prière du « Notre Père » et des indications pour se préparer à la confession.

Cette étape franchie, je suis prêt, à l’image de Dieu qui m’a pardonné gratuitement, à pardonner tous ceux qui m’ont offensé : je mets par écrit les pardons que je peux donner à tous ceux qui m’ont blessé : proches, amis, collègues de travail, autres personnes. Je prends le temps de compléter cette liste, peut-être pendant plusieurs jours : il se peut par exemple qu’elle inclut des pardons à donner à des personnes disparues. Je prends un temps de prière pour demander à Dieu de me donner la force de donner tous ces pardons.

Si j’ai la conviction que je peux donner un pardon sincère, et dans le cas où c’est possible, je pose un acte concret pour donner vie à ce pardon : je l’exprime à la personne qui m’a offensé, ou je m’engage à le faire la prochaine fois que je peux la rencontrer, ou aller vers elle.