Que ton nom soit sanctifié
Méditation

Benoît XVI

La première demande du Notre Père nous rappelle le deuxième commandement du Décalogue : « Tu n’invoqueras pas le nom du Seigneur ton Dieu pour le mal » (Ex 20, 7 ; cf. Dt 5, 11). Mais qu’est-ce donc que « le nom de Dieu » ? Quand nous l’évoquons, nous avons devant nous l’image de Moïse, qui voit dans le désert un buisson qui était en feu sans se consumer. Poussé par la curiosité, il s’approche pour voir de plus près ce mystérieux évènement, mais alors une voix l’appelle du milieu du buisson, et cette voix lui dit : « Je suis le Dieu de ton père, Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob » (Ex 3, 6). …/…
Aussi la réponse de Dieu est-elle à la fois refus et assentiment. Il dit simplement de lui-même « Je suis celui qui suis ». Il est, un point c’est tout. Cette réponse est à la fois un nom et une absence de nom.
Il était donc tout à fait juste qu’en Israël, cette auto-désignation de Dieu, entendue sous le mot YHWH, n’ait pas été prononcée et qu’elle ne se soit pas dégradée pour devenir une sorte de nom idolâtrique. Il n’était donc pas juste que, dans les traductions récentes de la Bible, on écrive comme n’importe quel autre nom ce nom resté toujours mystérieux et imprononçable pour Israël, réduisant ainsi le mystère de Dieu, dont il n’y a ni images ni noms prononçables, et le ramenant dans la banalité d’une histoire générale des religions.
Il n’en reste pas moins que Dieu n’a pas purement et simplement rejeté la demande de Moïse, et, afin de comprendre l’imbrication étrange du nom et de l’absence de nom, nous devons comprendre ce qu’est un nom. Nous pourrions simplement dire : le nom crée la possibilité de l’invocation, de l’appel. Il crée une relation. Quand Adam nomme les animaux, cela ne signifie pas qu’il exprime leur nature, mais qu’il les intègre dans son univers humain et qu’il fait en sorte de pouvoir les appeler.
Partant de là, nous comprenons l’aspect positif du nom de Dieu : Dieu crée une relation entre lui et nous. Il fait en sorte qu’on puisse l’invoquer. Il entre en relation avec nous et il nous permet d’être en relation avec lui. Mais cela signifie qu’il entre, d’une façon ou d’une autre, dans notre monde humain. Il est devenu accessible et par là aussi vulnérable. Il prend le risque de la relation, le risque d’être avec nous.
Ce qui parvient à son accomplissement dans son incarnation s’origine dans le don du nom. Lors de l’étude de la prière sacerdotale de Jésus, nous verrons qu’en effet Jésus se présente alors comme le nouveau Moïse : « J’ai fait connaître ton nom aux hommes » (Jn 17, 6). Ce qui a commencé avec le Buisson ardent dans le désert du Sinaï s’accomplit avec le Buisson ardent de la croix. En son fils devenu homme, on peut dire que Dieu est désormais devenu vraiment accessible. Il fait partie de notre monde, il s’est en quelque sorte remis entre nos mains.

Nous comprenons alors ce que signifie la demande de sanctifier le nom de Dieu. Désormais, on peut abuser du nom de Dieu et ainsi souiller Dieu lui-même. Le nom de Dieu peut être récupéré, et alors l’image de Dieu est déformée. Plus Dieu se remet entre nos mains, plus nous pouvons obscurcir sa lumière. Plus il est proche, plus notre abus de lui peut le rendre méconnaissable. …/…

Comment est-ce que je traite le nom sacré de Dieu ? Est-ce que je me tiens avec une crainte respectueuse devant le mystère du Buisson ardent, devant l’énigme insondable de sa proximité jusqu’à sa présence dans l’Eucharistie, dans laquelle il se met vraiment entre nos mains ?
Est-ce que je veille à ce que Dieu avec nous, dans sa sainteté, ne soit pas traîné dans la boue, mais qu’il nous élève à la hauteur de sa pureté et de sa sainteté ?

Romano Guardini

Or le Notre-Père nous invite à nous rappeler que nous avons des obligations envers le nom divin. Il ne dit pas seulement : « Tu dois l’honorer », mais « Tu dois l’entourer de sollicitude. Tu dois savoir qu’il est saint, puissant, qu’il erre sans asile, livré à tous. Tu dois veiller sur lui et de la façon que seule la foi rend possible, en accord avec Dieu lui-même, en lui demandant de faire que les hommes sentent la sainteté de son nom, lui donnent un refuge dans leur cœur et qu’ils le considèrent comme sacré. »

Mais comment peut-il en être ainsi ? Il en est ainsi quand il n’est pas employé pour blasphémer, mais avec respect, non pas dans le doute, mais dans la foi, non pas pour maudire, mais pour bénir, non pas avec le désir de nuire, mais pour édifier, non pas à la légère, mais avec sérieux, non pas avec des intentions mauvaises, mais avec de bonnes.
Cependant, ce n’est pas, là encore, le point extrême, mais nous ne pouvons pas exprimer cette dernière pensée autrement qu’en souhaitant, précisément, que le nom de Dieu soit « sanctifié ». Car « saint » est le mot suprême. On ne peut pas aller plus loin. On ne peut que le sentir, l’affirmer, l’accueillir en soi, ou bien se dresser contre lui.
Le nom de Dieu est saint ; on entend par là le caractère particulier de ce qui vit en lui, ce qui n’appartient qu’à lui seul, étranger, hors de portée, mystérieux, familier, accueillant comme la maison paternelle et tout ce que nous pouvons dire pour désigner cette inexprimable simplicité qui embrasse l’infini et qui constitue son essence la plus intime. C’est cela que nous devons « sanctifier ».
En nous doit s’éveiller une pensée, une attitude orientée vers le sacré, qui répond au sacré parce qu’elle en vient elle-même. Nous devons intérieurement entourer le nom divin de ce sentiment profond, délicat, intime et fort. Nous devons intérieurement être à genoux devant ce nom, le préserver de nos mains, veiller sur lui, faisant ainsi ce qui dépend de nous pour qu’il ne soit pas à la merci de tous.
C’est là une sollicitude toute divine qui pourrait nous sanctifier nous-mêmes. Le nom deviendrait en nous une puissance, agirait en nous et nous transformerait. Ainsi donc, nous demandons dans le Notre-Père : « Faites que j’entrevoie ce mystère. Faites qu’en moi demeure vigilant le souci que j’ai de mon pain, de ma famille, de mon travail et de tout ce qui a dignité et importance. Mais avant tout, faites que s’éveille en moi la sollicitude pour vous et pour ce qui vous appartient, pour votre nom et sa majesté. Et acceptez que je me range à votre côté dans cette sollicitude ».

Les questions

 

1) Par quels actes, par quelles attitudes, par quelles habitudes je sanctifie le nom de Dieu ?

2) A l’inverse, quelles sont mes actes, attitudes ou habitudes qui ne sanctifient pas le nom de Dieu ?

3) C’est Dieu qui nous sanctifie, et par là-même fait que nos actes sanctifient son nom, en nous donnant son Esprit Saint : le prophète Ézéchiel l’avait clairement annoncé :
« Je sanctifierai mon grand nom, qui a été profané par les nations, que vous avez profané parmi elles, (…) Je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés ; de toutes vos souillures, de toutes vos idoles, je vous purifierai. Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau. J’ôterai de votre chair le cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon esprit, je ferai que vous marchiez selon mes lois, que vous gardiez mes préceptes et leur soyez fidèles. » (Ez 36, 23a ; 25-27).
Quelle est ma relation à l’Esprit Saint ? M’arrive-t-il de l’invoquer pour lui demander son aide ?

Cette semaine, je prends un temps de prière particulier pour demander à l’Esprit Saint qu’il m’aide à sanctifier le nom de Dieu en nommant chacun des actes, attitudes ou habitudes qui ne le sanctifient pas, et en lui demandant de m’inspirer des actions concrètes pour les combattre et les éradiquer.